Par Gregory Lewkowicz, Professeur à l’Université libre de Bruxelles, directeur du programme droit global du Centre Perelman
On s’interroge parfois sur la réalité de l’implication des cabinets dans le tournant numérique. Le machine learning, la blockchain et autres termes à la mode ont-ils une réelle importance pour les praticiens du droit ? Ils sont en tous cas près de 50 cabinets d’affaires à avoir rejoint le projet Accord dans le domaine de la blockchain. Parmi eux, on retrouve Allen & Overy, Baker & McKenzie, Clifford Chance, DLA Piper, Dentons, Linklaters ou encore Norton Rose Fulbright. Quel est exactement ce projet et qu’est-ce qui justifie pareil engouement ?
I. Le projet Accord
Le projet Accord a été lancé en 2017 avec l’ambition de constituer un environnement technologiquement neutre pour l’élaboration et la gestion de smart contracts légaux. Soutenu par Hyperledger, la fondation Linux, l’International Association for Contract & Commercial Management (IACCM), le projet Accord vise à élaborer une forme d’hybridation entre smart contracts et contrats juridiques. Il repose sur plusieurs applications distinctes.
Premièrement, le système Cicero permet de rédiger des contrats standards en intégrant des variables dans des documents rédigés en langage naturel. Deuxièmement, le système Ergo qui constitue un langage spécifique permettant de spécifier les règles d’exécution des contrats d’une manière compréhensible à la fois pour le juriste et pour le développeur informatique. Enfin, le système Template Studio est un éditeur en ligne permettant de construire, d’éditer et de tester des smart contracts. Ensemble, ces différents modules doivent permettre de rédiger simplement des « smart contracts juridiques » (legal smart contracts) exécutables sur une blockchain et, en même temps, juridiquement valables.
II. Des smart contracts valables juridiquement : pour quoi faire ?
Pourquoi près de 50 cabinets d’affaires s’intéressent-ils à un tel projet ? Dès le lancement de l’initiative, les promoteurs du projet expliquaient que son principal intérêt était de « facilité la mise en place de normes techniques et standards juridiques pour les smarts contracts »[1]. Cet aspect du projet est d’ailleurs particulièrement avancé. L’organisme britannique de standardisation (BSI) a lancé un groupe de travail en vue de finaliser une norme PAS 333:2020 – Smart Legal Contracts – Specification[2] établissant les spécifications de ces smart contracts valable juridiquement. D’un point de vue stratégique, les cabinets d’affaires semblent vouloir ainsi être les premiers acteurs à fixer les standards de la blockchain légale de demain.
Alors qu’en février 2019 l’Italie était le premier État européen à conférer un statut juridique propre aux smart contracts et que l’European Blockchain Partnership promu par la Commission Européenne poursuit ses activités dans le domaine de la blockchain, l’engagement de nombreux cabinets dans le projet Accord semble indiquer que le tournant numérique des cabinets est en cours et que les grands cabinets d’affaires souhaitent fixer des aujourd’hui les règles du jeu du droit de demain.
[1] R. Aitken, « Accord Project’s Consortium Launching First Legal ‘Smart Contracts’ With Hyperledger », Forbes, 26 juillet 2017 (notre traduction).
[2] Voy. https://standardsdevelopment.bsigroup.com/projects/2018-03267#/section
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