Ce 14 mai 2020, l’Incubateur organisait un midi de l’avocat numérique exceptionnel consacré aux audiences en ligne. Ce midi a réuni en ligne près de 400 participants venus écouter le retour d’expérience des avocats et des magistrats qui ont été confrontés aux audiences en ligne organisées avec la solution Webex choisie par le SPF Justice. Pour ceux qui n’ont pas pu être présents, certains orateurs ont accepté de faire part de leur expérience par écrit. Vous pourrez lire leur texte ci-dessous.
Monsieur Christian ANDRE, Vice-président du tribunal du travail francophone de Bruxelles
Le 16.3.2020, le pays entre en phase de confinement afin de lutter contre la propagation du coronavirus. Dans le prolongement, le Collège des cours et tribunaux adresse des directives contraignantes à tous les comités de direction avec comme mesure principale l’obligation « de ne plus traiter que les affaires urgentes, et les affaires civiles pour lesquelles il est possible de recourir à la procédure écrite » (Communication coronavirus III – FR CODIR 20200316, https://avocats.be/sites/default/files/Commu_Coronavirus_III_DIRCO_FR_20200316.pdf ).
Pour beaucoup et pour le tribunal du travail francophone de Bruxelles en particulier, l’option ouverte sur la procédure écrite régie par l’article 755 du Code judiciaire est synonyme de saut dans l’inconnu. En effet, ce mode procédural de traitement des litiges n’est guère usité et est même largement ignoré. La réflexion est cependant rapidement menée en interne pour examiner si la procédure écrite est compatible avec les spécificités des juridictions du travail et le type de contentieux qu’elles gèrent (v. Christian ANDRE, « Les juridictions du travail au défi de la procédure écrite », J.T.T., 2020, pp.129 à 150). Très vite, deux difficultés majeures sont identifiées : la procédure écrite n’est guère adaptée aux sièges à trois juges, a fortiori en l’absence de dossier électronique ; la procédure écrite n’est pas en phase avec l’intervention de l’auditorat du travail.
Tandis donc que la crise sanitaire contraint toutes les juridictions sans distinction à prendre des mesures générales de suppression d’audiences et que la procédure écrite ne paraît pas pouvoir tenir ses promesses, c’est rien moins qu’à la quasi-paralysie de la Justice qu’on assiste impuissant.
C’est alors que, dans un nouveau communiqué du 19.3.2020, le Collège des cours et tribunaux sort de son chapeau la perspective de pouvoir tenir à bref délai des audiences par vidéoconférence (v. Communication coronavirus V – DIRCO 20200319, inédite à notre connaissance). Fin mars 2020, les juges découvrent l’application Cisco Webex Meetings et les premières expériences sont tentées. Il faut cependant attendre l’arrêté royal n°2 du 9.4.2020 concernant la prorogation des délais de prescription et les autres délais pour ester en justice ainsi que la prorogation des délais de procédure et la procédure écrite devant les cours et tribunaux, pour voir consacrer légalement la possibilité de tenir une audience par vidéoconférence.
L’audience en ligne surgit ainsi dans un paysage juridique lunaire où le champ du possible n’a jamais été aussi ouvert, sans doute parce qu’il s’agit de faire œuvre créatrice et de mettre en place à partir de quasi rien, sans tarder, une nouvelle manière de conduire le procès civil, non seulement pour répondre à des besoins pressants, en particulier dans les contentieux de la sécurité sociale, mais aussi sous peine de générer un arriéré qui sera difficilement résorbable. Les craintes sont importantes, la méfiance monte au créneau, les incertitudes foisonnent et c’est en définitive cette seule certitude qui va faire bouger les lignes : la vidéoconférence est l’unique alternative à la procédure écrite pour redonner à l’audience une nouvelle vie dans ce monde confiné et s’extraire d’un immobilisme fatal.
Que risquions-nous à vrai dire à faire le pari de l’innovation ? Il fallait au moins tenter. Les premières incursions dans cette contrée inexplorée se feront même en solitaire, sans guide, puisqu’elles précèderont la promulgation de l’arrêté royal n°2.
Tout le potentiel de cette nouvelle voie procédurale ne tardera pas à apparaître :
Quelques ombres cependant au tableau :
Et une bonne surprise aussi : l’audience en ligne n’est pas réservée qu’aux professionnels de la justice, elle est aussi accessible aux justiciables qui se défendent seuls. C’est ainsi que sur les 5 audiences que j’ai tenues par vidéoconférence jusqu’à ce jour, à deux reprises un justiciable y a pris part (dans un cas il se défendait seul, dans l’autre il était assisté d’un conseil, mais avait sa propre connexion).
Même si nous ne disposons pas de suffisamment de recul et que l’échantillon des audiences tenues par vidéoconférence reste dérisoire par rapport au volume habituel des audiences en temps normal, le bilan qui peut être dressé est plutôt positif. Peut-être n’a-t-on pas découvert le nouvel Eldorado, peut-être aussi que le système n’apporte pas directement toutes les garanties souhaitées. Fallait-il pour autant se passer de l’outil ? N’y avait-il pas une absolue nécessité de se défaire de nos préjugés, de dépasser le stade de nos ergotages juridiquo juridiques et de défier nos hésitations naturelles pour remettre à l’avant-plan l’intérêt premier du justiciable de voir sa cause traitée dans un délai raisonnable et donner sens ainsi au principe de bonne administration de la justice ?
Pour autant, l’audience en ligne a-t-elle encore un avenir après la crise sanitaire que nous traversons ? La réponse est nuancée.
Il ne sera de toute façon pas possible de faire comme si rien ne s’était passé et comme si nous n’avions pas perçu les avantages de ce nouveau filon. L’audience par voie de vidéoconférence ne supplantera sans doute jamais l’audience classique. En revanche, elle pourrait fort bien en prendre le relais, avec l’adhésion des parties, là où le déplacement physique au palais de justice pose problème pour l’une ou l’autre des parties, voire même pour le juge. Des remises inutiles pourraient grâce à elle être évitées. Elle pourrait même être repensée de manière à être intégrée dans un projet plus global de politique de mobilité et d’objectifs environnementaux à atteindre.
D’un autre côté, évoluer sur un terrain processuel hybride mêlant audience ordinaire, audience en ligne, voire encore la procédure écrite, risque vite de devenir ingérable pour les greffes, le ministère public et les juges si les moyens humains et techniques ne suivent pas et si un cadre légal ne vient pas consolider les bases de l’édifice, ne fût-ce que par une consécration légale du dossier électronique et de la signature électronique.
Me Virginie DODION
L’expérience de l’audience par vidéo-conférence en droit social fut une expérience très positive pour 4 motifs dans le cadre de la crise covid-19 :
– elle permet de faire avancer les dossiers (dans l’intérêt du client),
– elle nécessite bien moins de prestations que la procédure écrite,
– elle tient compte de la présence de l’auditorat et d’un siège à 3 juges,
– l’audience s’est déroulée de manière normale (sans sentiment de devoir « abréger »), avec un vrai échange et le respect de tous les aspects de l’audience.
Mais aussi :
– elle a été l’occasion d’une vraie solidarité entre les avocats (prêt d’un PC, chasse aux trésors dans les Carrefours pour trouver un micro, bon sens, bonne volonté, confraternité, aide pour e-deposit, etc…),
– cela nous a fait du bien sur un plan moral.
Cette expérience m’aura personnellement permis de réfléchir sur le choix des dossiers à traiter en procédure écrite, en audience ordinaire, en visio-conférence. Il y a des dossiers taillés sur mesure pour l’une ou l’autre alternative.
Je pense – et c’est personnel – que si les avocats pouvaient se préparer pour les 3, avec bon sens dans le choix, ceci pourrait permettre au Tribunal d’organiser les audiences dans le processus de déconfinement, en respectant les mesures de sécurité sanitaire et les difficultés de chacun (tout le monde ne vit pas cette crise de la même manière…). Sur du plus long terme (après covid-19), je n’ai pas d’avis à ce stade mais je reste très ouverte sur la question.
Mevrouw Gaby VAN DEN BOSSCHE, Voorzitter Nederlandstalige ondernemingsrechtbank Brussel
We bevinden ons met de online-zittingen nog maar aan het begin van een evolutie die niet te stoppen zal zijn.
Tijdens de gezondheidscrisis die we nu kennen heeft dergelijke werkwijze in de Nederlandstalige ondernemingsrechtbank Brussel al getoond dat zij een meerwaarde kan hebben : zaken konden zelfs in een periode van lockdown gepleit worden en de openbare dienst kon verder in belangrijke mate verzekerd worden. Uitstellen en bijkomende gerechtelijke achterstand werden op deze manier vermeden.
Magistraten houden in het algemeen wel liever zitting met aanwezigheid van partijen in de zittingszaal : lichaamstaal wordt beter opgepikt, de interactie verloopt over het algemeen ook vlotter.
Nochtans denk ik dat de online-zittingen hun nut in de toekomst zullen blijven behouden. Men zal dat per materie moeten bekijken : het ene leent zich er al gemakkelijker voor dan het andere.
Soms kan belangrijke tijdswinst gerealiseerd worden: denken we bij voorbeeld aan advocaten die van ver moeten komen voor een relatief korte zitting, of aan advocaten, partijen en magistraten die minder mobiel zijn, partijen of experten die in het buitenland verblijven…
Feit is dat de zittingszalen zouden moeten aangepast worden met grote schermen en een goed audiosysteem indien men in de toekomst op structurele wijze gebruik zou wensen te maken van (eventueel gedeeltelijke) online-zittingen. Wellicht moet ook de wetgeving aangepast worden. En er moet een oplossing gevonden worden om de openbaarheid van de zittingen maximaal te waarborgen.
Monsieur Jean-Hwan TASSET, Juge de paix du canton de Molenbeek-Saint-Jean
Je n’ai quasi aucune expérience en la matière. Nous avons tenté une audience par vidéo conférence dans le cadre d’une requête unilatérale, en chambre du conseil… autant dire que les risques étaient limités.
En matière contentieuse, la procédure écrite et l’audience par vidéo conférence sont peut-être une bonne idée, pourvu que l’on s’adresse à des avocats.
La justice de paix est une justice de proximité et ces modes de mise en état ou de plaidoirie, ne permettent pas ce qui est possible en audience publique, lorsque l’on rencontre le justiciable en personne.
Outre l’aparté qu’un conseil peut avoir avec son client, il y a « l’aparté », en présence de l’autre partie, que l’on peut avoir avec une partie : lui dire, sans le dire, ce que l’on ne peut pas lui dire…
Et puis, la présence physique rassure…
Et la perception de la décision est différente lorsqu’on la lit dans un jugement, ou lorsqu’on l’exprime « sur les bancs » : il peut y avoir un mot rassurant, ou un mot encourageant…
En outre, l’expérience a révélé que la mise en place de ces vidéo-conférences était particulièrement chronophage. Alors que les justices de paix crient leurs besoins en moyens matériels, mais surtout humains, cela signifie que d’autres devoirs ne peuvent pas être accomplis… La surcharge de travail engendrée par ces audiences à distance n’est pas raisonnable… et rien n’est prévu pour remédier à cette difficulté.
En ce qui concerne la juridiction gracieuse, ou la matière de la protection des incapables majeurs, outre le fait que je me demande comment les parties peuvent signer le procès-verbal de l’audition, ce procédé n’est pas adapté aux situations familiales conflictuelles.
Or, lors du dépôt de la requête, il est impossible de déterminer si les débats seront ou non houleux. Une présence physique permet souvent d’apaiser les tensions, ou en tout cas, de ramener une certaine sérénité dans les débats.
Je n’ai effectivement pas d’expérience en la matière, mais il me semble que ce résultat serait bien plus compliqué à obtenir par écrans interposés. Vous l’aurez compris, je ne suis pas un fervent partisan des audiences par vidéo-conférence !
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